Le corps enseignant divisé face à la réforme de l’enseignement

IV (Voir «L’Impartial» des 3 et 16 octobre, et du 2 novembre)

(Corr. particulière de «L’Impartial»)

Si beaucoup de parents s’intéressent très sérieusement au projet de réforme de l’enseignement, le corps enseignant, on s’en doute, ne lui est pas indifférent.

Constatons-le d’emblée: dans notre canton, malheureusement. le corps enseignant ne forme pas un tout homogène. Divisé syndicalement en «Section neuchâteloise V. P. O. D. des corps enseignants secondaire, professionnel et supérieur» et «Association indépendante des professeurs de l’enseignement secondaire, professionnel et supérieur», il est incontestablement influencé par cette distinction politique dans sa position à l’égard de la réforme. Et il en va de même du corps enseignant primaire.

L’attitude de l’Association indépendante

L’Association indépendante soutient énergiquement le projet du Conseil d’Etat; ses membres sont unanimes à considérer toute autre solution — donc, tout naturellement, celle de la Section V. P. O. D. — comme inférieure, ou même néfaste. A son avis, le projet gouvernemental est seul susceptible d’ouvrir l’accès aux études à tous les élèves capables, d’abord parce qu’il a trouvé la solution aux problèmes de sélection et d’orientation, ensuite parce qu’il remédie à une structure qui ne répond plus aux besoins actuels en préconisant la création d’un collège scientifique parallèle au classique et la prolongation du cycle secondaire moderne.

Toujours catégorique, cette Associalion affirme qu’une structure différente rendrait les études plus difficiles. Enfin, elle rejette la proposition de la Section V. P. O. D. concernant l’institution d’une année d’orientation avant les trois sections classique, scientifique et moderne parce qu’elle retarderait l’entrée en vigueur, de la réforme alors que le «cycle moderne» dans sa conception actuelle, est en proie à de sérieuses difficultés. Cette année commune d’orientation serait une mesure inefficace, voire un recul.

L’Association indépendante des professeurs de l’enseignement secondaire, professionnel et supérieur appuie donc le projet officiel par tous les moyens en son pouvoir: elle dénonce tout autre projet comme nuisible aux études, incompatible avec une mise en œuvre rapide de la réforme et plus coûteux pour le canton et les communes.

La Section V. P. O. D. est hostile

En présence d’une telle offensive, la Section V. P. O. D. des corps enseignants secondaire, professionnel et supérieur n’est pas restée inactive. A plusieurs reprises, ses membres ont été réunis en assemblée de délégués; la dernière a confirmé la position d’hostilité adoptée, au départ, à l’égard du projet de réforme.

Alors que le Conseil d’Etat prévoit, comme nous l’avons déjà vu, la formule «4-4-3», c’est-à-dire 4 années classiques, 4 scientifiques et 3 modernes, la Section V. P. O. D. réaffirme son attachement à la solution de 4 années comprenant 4 sections (prégymnasiale littéraire, prégymnasiale scientifique, moderne, préprofessionnelle), un examen de présélection en fin de la cinquième année favorisant l’homogénéité des classes de la première année du nouveau cycle secondaire. La section préprofessionnelle ou, si l’on préfère, les 4 dernières années de l’école primaire actuelle, serait organisée dans le cadre de l’école secondaire avec des programmes et des méthodes d’enseignement nouveaux.

Parallèlement, la Section V. P. O. D. maintient sa proposition d’instituer une année d’orientation pour tous comme première année de ce nouveau cycle. Des psychologues-conseils attachés à chaque école y collaboreraient avec les maîtres de classe.

Cette Section justifie sa position d’une manière tout aussi catégorique que l’Association indépendante défend la sienne: sa formule est la seule capable d’assurer une véritable démocratisation de l’enseignement parce qu’elle comporte des études d’égale durée dans les 4 sections. Une autre formule — et donc, tout naturellement aussi, celle du Gouvernement et de l’Association indépendante — ne peut être que transitoire, c’est-à-dire incompatible avec une véritable réforme. De là, à parler de «réformette», il n’y avait qu’un pas. Et il fut franchi.

Des divisions regrettables

Ainsi, du côté du corps enseignant divisé, la situation est de moins en moins favorable à une adhésion générale des principaux intéressés (avec les élèves!) au projet de réforme du Conseil d’Etat. Et si l’on sait qu’une quarantaine de professeurs de l’Ecole secondaire régionale de Neuchâtel se sont déclarés, par écrit et à titre personnel, partisans de ce projet, on se rend mieux compte de la véritable division dont le corps enseignant est frappée. Cette dernière prise de position est évidemment — et également! — dirigée contre les propositions de la Section V. P. O. D., puisque ces professeurs considèrent le projet officiel de réforme comme une garantie pour les élèves contre les erreurs éventuelles d’orientation.

Pendant ce temps, la commission «ad hoc» du Grand Conseil continue ses travaux commencés en mars. Dans certains milieux du chef-lieu, on la rend déjà responsable du retard apporté à la réalisation de cette réforme. Ce jeu est facile! Mais n’est-il pas précisément destiné à masquer les divisions du corps enseignant?

Jean DUCHATEAU

Source : L'Impartial, 18 novembre 1961