, Myriam Facchinetti

Adieu Monsieur le Professeur

Gilbert Hirschi s’en est allé des suites d’un cancer, le 6 janvier dernier.

Gilbert Hirschi, qui a enseigné pendant 41 ans à l’école de Derrière-Pertuis, s’en est allé des suites d’un cancer, le 6 janvier dernier.

C’est «l’affaire Derrière-Pertuis» qui nous revient à l’esprit quand on évoque le nom de Gilbert Hirschi, décédé à l’âge de 77 ans. Loin de nous l’envie de revenir sur ce triste et émotionnel épisode de la vie de cet instituteur, mais on ne peut tout de même pas passer à côté.

Tableau noir

Gilbert Hirschi enseigne depuis plus de quarante ans dans une classe multi-âges du Val-de-Ruz quand une partie des parents d’élèves de «la Montagne» s’indigne de sa façon d’enseigner, qu’elle juge autoritaire et un brin dictatoriale. Ces parents décident de scolariser leurs enfants à Dombresson. L’école de «la Montagne» doit alors fermer ses portes, faute d’un effectif assez important.

Dans son film Tableau noir1, Yves Yersin met subtilement en images, en pleine polémique, la vie de ces dix-sept élèves de 6 à 11 ans, encadré·es par un instituteur en fin de carrière, dont les méthodes d’enseignement plaisent et déplaisent à la fois. Le film est primé au Festival du Film de Locarno en 2013.

Instituteur investi

Il semble incontestable que le film de Yersin, qui se termine dans l’émotion de la fermeture de l’école et de la retraite anticipée de Gilbert Hirschi, met en lumière un enseignant pluri-compétent, très investi et sûr de lui. Celui qu’on pourrait parfois confondre avec le grand-père de ses propres élèves débite son savoir, touche à toutes les matières, et sait également se montrer patient et sensible aux émotions de ses petit·es protégé·es, à leurs réussites et à leurs échecs momentanés. Il endosse tour à tour et tout naturellement les différentes casquettes de son métier: instituteur, chauffeur, naturaliste, musicien, metteur en scène, psychologue et guide touristique.

L’œil critique des parents

Certes, on peut se mettre à la place des parents en colère et voir d’un œil critique ce vieux bonhomme appliquer une pédagogie d’un autre temps. Mais il est important de constater que certaines de ses méthodes, parfois vivement critiquées par ces parents d’élèves, sont aujourd’hui enseignées à la HEP: la différenciation, la collaboration, la démarche réflexive, l’utilisation de la nature proche comme terrain pédagogique, toutes ces notions de développement ultime des capacités transversales qu’il maitrisait, et qu’il savait transmettre à ses élèves.

L’œil critique des parents ne nous quitte jamais, nous enseignant·es, peu importe l’investissement donné à notre travail, peu importe la conscience professionnelle que nous endossons. Malheureusement, il suffit parfois d’un écart, de montrer une faiblesse en réagissant comme un être humain, ou d’une mauvaise rumeur, et on devient un·e mauvais·e enseignant·e, à tout jamais.

Garder confiance

Nul doute que Gilbert Hirschi a dû hausser le ton, gronder ses élèves, dire un mot malheureux, se montrer certainement autoritaire. Nul doute… Que celui-celle d’entre nous à qui cela n’est jamais arrivé lève le doigt…

Mais quand la rumeur enfle, quand la réputation est ternie, il faut savoir garder la tête haute, garder confiance, pour ne pas s’écrouler, ni sombrer.

C’est ce qu’a fait Gilbert Hirschi, après avoir fidèlement voué les deux-tiers de sa vie à l’école. Ses larmes au moment de quitter cette école, sa «Montagne», dans les bras de ses élèves bouleversé·es, n’étaient pas factices. Et on aimerait, tout comme lui, pleurer en entendant nos élèves entonner: «… on ne vous oubliera jamais, Adieu Monsieur le Professeur…»