Le virage à 180°
Thématique importante à nouveau sur la pile de dossiers du SAEN : le harcèlement scolaire. Aujourd’hui, je vous invite à une réflexion à travers l’expérience d’Emmanuelle Piquet, praticienne française spécialiste de la thérapie brève stratégique selon l'École de Palo Alto (1).
J’ai eu l’occasion de me fondre dans la masse des parents d’élèves de St-Imier, le 27 novembre dernier, pour rencontrer en personne une femme qui me fascine depuis depuis de nombreuses années : Emmanuelle Piquet. Cette thérapeute française, spécialisée dans la lutte contre le harcèlement, raconte en effet avec gravité, humour et émotion des situations vécues dans son cabinet avec des enfants harcelé-es.
Si vous naviguez sur les réseaux sociaux, vous trouverez sous son profil plusieurs vidéos d’exemples. Sa bande-dessinée « Manuel de survie face aux harceleurs » dédramatise et donne des solutions pour briser le cercle vicieux du harcèlement.
Des outils de résistance
Si j’ai choisi aujourd’hui de parler du harcèlement à travers son travail, c’est qu’elle pose d’abord la situation à travers les yeux des enfants, de leurs parents et des enseignant-es. Puis elle propose d’envisager la solution en passant par les harcelé-es principalement.
Elle part du principe qu’un-e harceleur-se ne pourra pas changer, même si l’institution scolaire le lui demande. S’iel est devenu-e harceleur-se, c’est d’une part parce que cela le-la sécurise (au moins iel ne deviendra pas le-la harcelé-e) et d’autre part, parce que l’émotion qui l’habite au moment de harceler est une émotion de plaisir pur et de pouvoir, dont iel n’a pas du tout l’intention de se défaire.
Emmanuelle Piquet s’occupe donc plutôt des enfants harcelé-es, afin de leur redonner le pouvoir à travers des outils de résistance. Les objectifs : faire tomber de son piedestal le-la harceleur-se et inverser la tendance, faire en sorte que les harcelé-es cherchent l’interaction avec leurs bourreaux plutôt qu’iels ne la fuient, afin que les tortionnaires perçoivent le changement radical et s’essouflent.
L'inconfort change de côté
Partant du principe qu’il est plus difficile d’arrêter de faire quelque chose que de faire son opposé, l’idée de la thérapie de l’Ecole de Palo Alto est de faire exactement le contraire de tout ce qui a déjà été fait (et qui a aggravé la situation). Cela s’appelle « le virage à 180° ». Quand on est dans une impasse, on nous demande d’opérer un demi-tour. C’est exactement le même processus qu’Emmanuelle Piquet met en place avec ses patient-es.
Un exemple : Fatou est une petite fille sénégalaise de 10 ans. Depuis plusieurs mois, elle est victime de harcèlement raciste de la part d’un de ses pairs. Il s’approche d’elle, la touche, puis sent ses doigts et dit : « Beurk… mais voilà pourquoi vous avez la peau brune, vous êtes tous couverts de caca ! Bahhhh, tu pues ! ».
Fatou est tétanisée, incapable de répondre à cette violence. Elle fuit du mieux qu’elle peut l’interaction avec le harceleur. De plus, elle n’en parle pas à ses parents pour ne pas les blesser. Ils finiront par comprendre quand elle refusera de porter son costume traditionnel sénégalais lors du carnaval de l’école.
Dans le cabinet d’Emmanuelle, le scénario à 180° se met en place pour faire changer l’inconfort de côté. Fatou va donc à son tour toucher son harceleur et lui dire : « Fais attention car tu vas puer toute la journée désormais, c’est l’odeur du racisme. ».
Tout est travaillé en cabinet pour que l’enfant harcelée puisse répondre aux différentes réactions de son harceleur et ainsi couper court aux pleins pouvoirs de ce dernier. La confiance retrouvée va faire changer de posture la victime et faire comprendre au bourreau qu’il n’a plus d’intérêt à harceler.
Conférence prévue: intéressé·e ?
Pour en savoir plus sur le travail d’Emmanuelle Piquet, je vous invite à visionner « Les Indiens contre-attaquent » (2). Dans ce documentaire, le sujet du harcèlement scolaire est abordé sous un angle poignant. Le documentaire se concentre sur la réponse des communautés indiennes face à cette problématique, mettant en lumière les initiatives locales et les témoignages d'élèves, de parents et d'éducateurs. À travers des récits personnels et des analyses, cet épisode vise à sensibiliser le public sur les conséquences du harcèlement et à montrer comment les communautés s'organisent pour protéger les jeunes et promouvoir un environnement scolaire sain et inclusif.
Le SAEN souhaiterait organiser une conférence avec Emmanuelle Piquet. Seriez-vous intéressé-es ? Faites-le nous savoir !
(1) L'école de Palo Alto est un courant de pensée et de recherche ayant pris le nom de la ville de Palo Alto en Californie (où se situe l'université Stanford), à partir du début des années 1950. On le cite en psychologie et psychosociologie ainsi qu’en sciences de l'information et de la communication en rapport avec les concepts de la cybernétique et de la théorie des systèmes. Ce courant est notamment à l'origine de la thérapie familiale et de la thérapie brève dite systémique et stratégique. L'école a été fondée par Gregory Bateson avec le concours de Donald D. Jackson, John Weakland, Jay Haley, Richard Fisch, William Fry, Karin Schlanger et Paul Watzlawick.